Source : Datacenter en Transition
Suite de la table ronde Datacenter en Transition.
Table ronde Datacenter en Transition seconde partie, avec José Guignard (GRDF), Jérôme Nicolle (Ceriz), Laurent Orvoën (Eneria), animée par Eric Arbaretaz (Thésée Datacenter) pilote du Think Tank.
Eric Arbaretaz : Effectivement, j’ai souvenir que de nombreux acteurs se sont rapprochés ces dernières années des hébergeurs en région parisienne. Et il semble que le problème essentiel est un manque d’intérêt économique. Quels sont les ordres de valeurs dont nous parlons ?
Jérôme Nicolle : Les groupes électrogènes sont installés à des fins de sécurisation et n’ont pas stricto-sensu de rôle productif dans l’immobilisation capitalistique qu’ils requièrent. Leur entretien est un poste de charge lourd. Leur valorisation au profit du réseau de distribution d’électricité permettrait de rentabiliser les installations.
Laurent Orvoën : Le principe de l’effacement est pratiqué depuis de nombreuses années en utilisant les groupes électrogènes que nous entretenons chez certains industriels, tout d’abord avec l’EJP (Effacement Jours de Pointe) et aujourd’hui avec le mécanisme de l’effacement. Cette pratique a connu un très grand succès du fait de tarifs attractifs et du nombre de jours d’appel annuel connu (22 jours par an) avec un délai de prévenance de quelques heures. Les installations étaient alors rentabilisées.
Mais la situation est différente aujourd’hui. Le nouveau mécanisme de l’effacement impose un délai de prévenance de quelques minutes et un tarif suivant appel d’offres à coût marginal. De nombreux acteurs se positionnent et RTE commence toujours par appeler les acteurs qui proposent le prix le plus bas et monte ensuite les prix d’appel en fonction de ses besoins. Les rémunérations sont donc très basses. Rentabiliser les installations est donc difficile sachant qu’elles doivent être modifiées pour répondre aux contraintes de production de la nouvelle rubrique 2910.
José Guignard : Le gaz répond aux objectifs d’une production d’énergie renouvelable et décentralisée croissante et continue :
- Effacement (cogénération / trigénération à partir de moteur à gaz, turbine à gaz, pile à combustible) : électro-intensif (datacenter, Grand Paris, IGH, Hôpitaux, etc.)
- Systèmes hybrides (mix énergétique) : échelle du site
- Mix énergétique territorial : tous les réseaux énergétiques interconnectés
- Pic de consommation et résilience (groupe électrogène gaz naturel)
La cogénération permet de compenser partiellement la baisse progressive de la production d’électricité par charbon et fioul : le gaz est la seule énergie qui a progressé entre 2017 et 2018.
Il est important de noter que de nombreux sites sensibles comme les hôpitaux et les aéroports sont équipés de groupes de cogénération.
Eric Arbaretaz : Mais est-ce qu’il y a également des contraintes techniques ?
Jérôme Nicolle : La réglementation ICPE de ces installations interdit actuellement leur fonctionnement hors du stricte cadre de secours d’une alimentation principale car de nombreuses contraintes s’imposent aux groupes dits de production.
Laurent Orvoën : Un groupe électrogène qui peut fonctionner en effacement est assimilé à un groupe de production et donc soumis à de nombreuses obligations environnementales très contraignantes, en particulier concernant les émissions. Les groupes électrogènes de secours qui fonctionnent moins de 500 heures par an ne sont pas soumis à ces contraintes, sauf si les autorités locales ou les exploitants de datacenters le requièrent. Les constructeurs de groupes électrogènes proposent des solutions de traitement de fumées en pré ou post combustion qui filtrent les particules et NOx.
Une autre alternative est le dual fuel. Des groupes électrogènes diesel pouvant fonctionner avec jusqu’à 70% de gaz. Ce type de groupe peut être utilisé en secours avec un temps de démarrage au diesel très court puis en régime établi de fonctionner au gaz avec des émissions réduites.
Jérôme Nicolle : Si l’on veut augmenter les capacités de production EnR, alors on doit utiliser toute forme de micro-production ou d’effacement sans dogmatisme sur leurs technologies, car l’augmentation de leur emploi permettra de réduire considérablement leurs inconvénients. Cette stratégie offre d’autres intérêts significatifs : les groupes électrogènes sont un débouché naturel pour les productions de carburants renouvelables, car les installations thermiques fixes sont bien plus tolérantes que les moteurs de véhicules.
Pour encourager l’utilisation de ces infrastructures, il faudrait lever la restriction de durée de fonctionnement et de la finalité de secours des installations disposant d’équipements de dépollution répondant à des normes progressivement accrues, et créer une classe d’offre d’approvisionnement d’énergie de réseau à coût réduit mais requérant une capacité d’effacement pilotée.
Laurent Orvoën : L’autre contrainte est liée à l’autonomie de carburant. Les datacenters sont équipés de cuves à fioul calculées pour des autonomies importantes en cas de coupure de courant en lien avec les conditions de réapprovisionnement. L’effacement implique d’augmenter ces capacités si les exploitants des datacenters veulent conserver les autonomies initiales.
José Guignard : Si on parle de production de substitution, il existe plusieurs solutions, comme la trigénération gaz qui est aujourd’hui une des solutions matures dans l’industrie des datacenters et offre moins de contraintes techniques. Elle présente également moins de contraintes réglementaires ICPE et permet de réduire la consommation d’énergie primaire de 30%. Sur ce dernier point, la cogénération gaz est dimensionnée pour répondre aux besoins électriques IT uniquement ; la chaleur est ensuite transformée en froid pour répondre aux besoins du site.
Laurent Orvoën : La trigénération gaz est effectivement une alternative à l’utilisation de l’énergie électrique du réseau en substituant le gaz à l’électron. La centrale de trigénération alimentée en gaz permet alors de produire l’électricité pour le datacenter et de la chaleur transformée en froid. C’est une technologie éprouvée et les émissions peuvent être maîtrisées avec des catalyseurs et des systèmes d’injection d’urée.
Eric Arbaretaz : Je comprends très bien le principe du BioGaz dont l’impact carbone est nul. Mais est-ce qu’il est possible de capturer le carbone issu de sa combustion ?
José Guignard : Les dispositifs de séquestration carbone existent et sont en cours de développement. Plusieurs solutions semblent prometteuses. Le captage CO2 permettrait notamment la mise en place de systèmes de quadri génération.
Laurent Orvoën : La récupération du CO2 des centrales de cogénération est utilisée actuellement dans les serres maraîchères pour améliorer la photosynthèse des plantes. Nous sommes loin des datacenter installés en zone urbaine, mais ce sont des voies de réflexion pour l’insertion et l’acceptation des datacenters.
Eric Arbaretaz : Que pensez-vous de l’hydrogène comme énergie d’alimentation des datacenters ?
José Guignard : C’est une des solutions avec le gaz renouvelable pour décarboner notre réseau : un rapport de fin 2019 confirme le rôle des réseaux gaziers, des sites de stockage et des terminaux méthaniers dans le déploiement de l’hydrogène en France et l’atteinte de la neutralité carbone en 2050.
Les opérateurs confirment qu’il est possible d’intégrer un volume significatif d’hydrogène dans le mix gazier d’ici 2025, avec des coûts limités d’adaptation des infrastructures. Ces dernières pourront ainsi accueillir l’hydrogène décarboné et renouvelable, que ce soit via la récupération d’hydrogène coproduit dans l’industrie, celui issu de la pyrogazéification de déchets ou biomasse, du reformage de gaz avec stockage du carbone, ou bien encore du Power to Gas.
Laurent Orvoen : Nous pensons que c’est une solution d’avenir. Eneria se positionne actuellement sur cette technologie pour des applications groupes électrogènes, mais aussi motorisations terrestres et maritimes. Les solutions hybrides solaires sont aussi des actes de recherche et développement.
Eric Arbaretaz : Comment souhaitez-vous conclure cette table ronde ?
Jérôme Nicolle : Le parc d’installations de génération d’électricité d’appoint en France métropolitaine est d’au moins 3GW. Alors que ces installations sont aujourd’hui sous-employées, elles constituent un potentiel important pour accompagner le déploiement des nouvelles énergies renouvelables.
Les autorités devraient prendre plusieurs mesures pour accompagner cette transition énergétique :
- Levée de la restriction de durée de fonctionnement et de la finalité de secours des installations disposant d’équipements de dépollution répondant à des normes progressivement accrues.
- Création d’une classe d’offre d’approvisionnement d’énergie de réseau à coût réduit mais requérant une capacité d’effacement pilotée.
- Financement de la recherche portant sur les systèmes CCS et de lavage de fumées, voire subventionnement de ces installations.
José Guignard : La transition énergétique ne pourra pas se faire sans le gaz renouvelable : or, le gaz naturel d’aujourd’hui sera du gaz renouvelable demain. Le mix énergétique est la clé de la réussite, car il permet d’allier les avantages des différentes énergies sans les opposer.
Laurent Orvoën : Nous devons sans cesse innover et être ouverts à l’innovation. L’avenir sera certainement des solutions d’énergies décarbonées partiellement ou totalement. Nous y travaillons. Pour l’instant les solutions « classiques » demeurent les plus fiables. Nous les améliorons sans cesse pour réduire leur impact environnemental.