Les datacenters et l’emploi

Réalisé par Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de DCmag

C’est l’une des principales critiques qui pèsent sur l’image des datacenters : ils créent peu d’emplois… DCmag a enquêté sur les emplois dans le datacenter, et la réalité est bien différente de l’image dont il est affublé.

En dehors de son écosystème, l’humain est rarement cité dans les conversations sur les datacenters, sauf à déclarer de manière péremptoire que les datacenters ne créent pas d’emplois, ce qui démontre une méconnaissance du sujet. Les images et photos associées aux datacenters sont d’ailleurs trompeuses, qui présentent généralement des salles ou des allées cernées de serveurs et d’équipements informatiques vides de toute présence humaine ! 

Rappelons tout d’abord que les datacenters dépendent tout autant de leurs femmes et hommes que des processus et de la technologie. On ne peut concevoir, construire et opérer des datacenters sans personnel. Et du personnel qualifié, car il y trop de variables et d’exigences à prendre en compte pour que l’humain soit remplacé, même par des IA (Intelligence Artificielle) et des robots.

2,3 millions d’employés temps plein dans les grands datacenters

Selon l’Uptime Institute (1), les besoins en personnel des grands datacenters – de colocation, d’hébergement et hyperscale – étaient de 2 millions d’employés temps plein en 2019. Sur la base de plus de 230 postes de travail identifiés dans les datacenters, le besoin de personnel va augmenter pour atteindre 2,3 millions d’employés temps plein en 2025. Même si ce chiffre est mondial – ces emplois sont concentrés dans un nombre limité de hubs numériques, dont Paris et Marseille pour la France – les détracteurs du datacenter qui affirment qu’ils ne créent pas d’emploi se trompent.

Les métiers du datacenter

En réalité, les datacenters affichent une incroyable diversité de métiers. L’EDEC Infrastructures Numériques, en compagnie d’InfraNum et de Katalyse, dans le cadre d’une étude sur les emplois dans la filière des infrastructures numériques (2), ont cartographié les métiers du datacenter en France. L’étude a identifié six familles de métiers.

Famille Direction / Commercialisation
– Responsable de site (pilotage des infrastructures et gestion de l’exploitation / maintenance) 
– Chargé(e) de comptes / Commercial(e)
Famille Support
– Agent de sécurité (surveillance & contrôle des accès)
– Agent d’entretien (nettoyage courant du bâtiment)
Famille Conception / Etude
– Ingénieur(e) CVC (conception de l’infrastructure de refroidissement)
– Ingénieur(e) simulation numérique / BIM (simulation des flux d’air, nouveau métier)
– Responsable Energie (amélioration performance énergétique)
– Ingénieur(e) système & réseaux
Famille Réseau
– Urbaniste datacenter (organiser les salles informatiques)
– Technicien(ne) réseau (connecter des serveurs entre eux et au cœur du réseau)
– Technicien(ne) datacenter (installer, mettre en service et paramétrer les serveurs)
– Ingénieur(e) maintenance IT (interventions sur les serveurs dans les baies)
– Responsable cybersécurité (nouveau métier)
Famille Bâtiment
– Chef(fe) de chantier 
– Chef(fe) de projet électricité (facilities)
– Electricien(ne) (facilities)
– Technicien(ne) CVC (facilities)
Famille Exploitation
– Technicien(ne) de maintenance facilities (infrastructures électriques, CVC & systèmes incendies)

L’Uptime Institute, via son site Career Pathfinder, a également identifié plus de 230 rôles dans l’industrie du datacenter, caractérisés par des compétences, des diplômes et des titres.

Concernant la France, nous manquons de données précises sur les emplois dans le datacenter. La partie datacenters de l’étude EDEC, InfraNum et Katalyse a par contre porté sur l’évolution des besoins en emplois dans les datacenters sur les territoires. Pour l’année 2023, ce besoin est estimé à 11 589 emplois, répartis en 9 629 pour Île-de-France, 1 545 pour la région Aix-Marseille, et 416 pour les autres territoires. De notre point de vue, les besoins des territoires sont sous estimés, car les ‘petits’ datacenters en région sont trop souvent méconnus, et qu’émergent via la 5G et l’IoT de nouveaux datacenters de type Edge dont la conception et l’exploitation ne passent pas par les réseaux classiques.

12 000 emplois à créer en France entre 2023 et 2024

En 2030, les besoins en emplois dans le datacenter devraient dépasser 20 000 postes à créer sur l’ensemble des territoires : l’ïle-de-France demeurera largement majoritaire mais le rythme de progression fléchira ; le pôle Aix-Marseille bénéficiera d’un effet de rattrapage ; les besoins sur les autres territoires vont doubler.

La famille “Réseau”, en particulier les techniciens datacenters qui exploitent au quotidien les équipements et les salles informatiques dans les datacenters, représente la part la plus importante (40%) de la demande. 

Parmi les tendances, d’autres expertises spécifiques liées au datacenter feront l’objet de demandes :

  • Ingénieurs spécialisés dans des expertises industrielles BIM, Efficacité Énergétique, Réseau, IT
  • Ingénieurs spécialisés en efficacité énergétique des datacenters, notamment sur la réduction du PUE (Power Usage Effectiveness) par l’amélioration des systèmes de refroidissement et sur la récupération de la chaleur fatale.
  • Ingénieurs spécialisés dans la cybersécurité.
  • Ingénieurs spécialisés dans l’IA (Intelligence Artificielle) pour le pilotage, la maintenance et l’efficacité énergétique du datacenter.

Les métiers indirects du datacenter

Visitez un datacenter et vous aurez la surprise de découvrir qu’il est très fréquenté. Certes, nous n’employons pas le terme ‘foule’, mais le datacenter est comme une ruche industrielle dans laquelle s’activent de nombreux métiers, dont la majorité sont externes aux équipes salariées par l’exploitant du datacenter. Une grande partie des intervenants sont ‘externes’ au datacenter, employés par les clients du datacenter ou les infogéreurs mandatés par eux. Les exploitants des datacenters de colocation, les premiers concernés car les plus actifs en volumes (nombre et surface des datacenters, volume des flux et données, nombre de salariés) estiment que pour un employé salarié du datacenter ce sont plus de 8 techniciens externes qui interviennent dans le datacenter.

1 employé du DC = 8 techniciens qui interviennent dans le DC

Plus largement, la construction d’un datacenter a un effet majeur sur l’emploi dans une région, mais celui-ci est très difficile à mesurer. Nous proposons de nous référer à une étude réalisée par Amazon AWS en Alberta. Evidemment, les conditions d’acceptation des datacenters en Amérique du Nord sont différentes de celles que nous connaissons en Europe. Cependant, nous estimons que les volumes méritent d’être retenus.

Amazon a culculé qu’un datacenter (de taille importante et qui supporte ses activités du cloud) a trois types d’effets économiques (3)

  • Effets directs avec l’investissement dans la construction et les opérations du datacenter ;
  • Effets indirects lié aux dépenses inter-industrielles et de chaîne logistique ; 
  • Effets induits liés aux dépenses dans l’économie locale.

Sur la période 2016-2021, Amazon AWS a calculé qu’en Alberta la création directe d’emplois locaux liés à ces effets, exprimée en temps pleins, était de 687 emplois :

  • 377 emplois en effets directs (qui interviennent dans le datacenter) ;
  • 124 emplois en effets indirects ;
  • 186 emplois en effets induits.

En 2037, Amazon estime que ces chiffres seront portés à 871 emplois :

  • 409 emplois en effets directs (qui interviennent dans le datacenter) ;
  • 181 emplois en effets indirects ;
  • 227 emplois en effets induits.

Nous noterons que ces emplois ne sont pas ceux liés aux activités des organisations dont les infrastructures informatiques sont hébergées dans les datacenters. 

Ce qu’il faut retenir ici, c’est que si un datacenter crée moins d’emplois qu’un entrepôt logistique ou une surface commerciale, par exemple, le volume des emplois directs, indirects et induits est autrement plus important, avec un impact économique qui peut se révéler vital pour un territoire. C’est une donnée essentielle qui devrait être retenue dans les projets de construction de datacenters.

  • Des métiers du datacenter en tension

Le secteur des datacenters est méconnu, il n’est pas couvert par les formations sauf en de rares occasions, et une partie de ces métiers n’existaient pas il y a encore quelques années. De plus, le rythme de création de nouveaux datacenters, mais aussi de transformation des datacenters existants, est très soutenu. C’est ce qui explique pourquoi les principaux métiers du datacenter en volume de postes à pourvoir, principalement les techniciens datacenters et les techniciens de maintenance ‘facilities’ (génie électrique et climatique), sont en tension.

Les opérateurs de datacenters se bousculent pour trouver et parfois s’arracher des talents qualifiés. Mais avec les développements des infrastructures de datacenter et les avancées technologiques qui les accompagnent, l’industrie souffre d’une pénurie permanente de talents. La plupart des acteurs du secteur prédisent que le manque de talents sera le plus important pour les techniciens informatiques, et les travailleurs formés au cloud computing et à l’intelligence artificielle.

L’étude EDEC, InfraNum et Katalyse (2) évoque les profils spécifiques des techniciens datacenters qui les rendent particulièrement complexes à recruter. Les formations génie électrique et climatique traditionnelles ne sont pas adaptées aux spécificités des datacenters, les techniciens sont en bout de la chaîne logistique des équipements des datacenters, mais leur mission est essentielle : installation, câblage, mise en service, paramétrage, test et validation des équipements et des serveurs, gestes de maintenance, intervention et résolution des incidents.

Profils des métiers technicien(ne)s datacenters (2)
– Bonne maîtrise de la langue anglaise
– Permis B (sites souvent en périphérie)
– Acceptabilité d’une organisation du travail en 3×8
– Relation client de qualité avec un sens du service et de l’écoute afin d’assurer les interventions de maintenance
– Maîtrise des gestes techniques (rackage, câblage…) pour assurer l’installation des équipements ainsi que la maintenance (notamment préventive) et la résolution des incidents
– Connaissances des codes / règles à appliquer au sein d’un environnement hébergé (notamment en matière de sécurité)
– Principales qualités attendues : bonne réactivité, rigueur, sens relationnel et polyvalence

A l’image des entreprises et des services qu’ils hébergent, les datacenters doivent se placer à la pointe de l’innovation, ce qui se traduit par une évolution vers des métiers, du technicien à l’ingénieur, toujours plus qualifiés. A ce jour, l’avancement des technologies dépasse le taux de perfectionnement des employés des datacenters, ce qui explique la présence forte de personnels qualifiés provenant des clients. Mais l’opérateur de datacenter lui-même doit aussi faire évoluer ses compétences. 

Les équipes de collaborateurs de datacenters étant plutôt réduites (environ 20 employés dans un datacenter de taille moyenne, hors services tertiaires), il est difficile de mettre en place des formations spécialisées dont le coût rapporté au nombre d’employés peut paraître élevé. Il est cependant vital de faire évoluer la qualification des collaborateurs et de se préparer dès aujourd’hui à recruter les compétences de demain. Afin de prendre avantage sur leurs concurrents, il est dans l’intérêt des acteurs du marché de former une masse critique de professionnels techniques qualifiés, connaissant bien les technologies propriétaires particulières, et capables de repérer et d’intégrer les technologies innovantes. Le datacenter représente pour les techniciens et ingénieurs une opportunité d’exercer des métiers de demain. 

Nos sources

1 – https://uptimeinstitute.com/education/data-center-career-pathfinder?utm_campaign=Oktopost-Service+Products&utm_content=Oktopost-linkedin&utm_medium=social&utm_source=linkedin

2 – Etude prospective des besoins en emplois et compétences de la filière des infrastructures numériques à l’horizon 2030 – Rapport Katalyse, InfraNum et EDEC – Mars 2023

3 – AWS Economic Impact Study – AWS Investment in Canada

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