Datacenter en France : les défis de l’implantation et l’attractivité des régions

Source : Datacenter Magazine

Nicolas Boffi, City Executive Paris chez Arcadis
Ludovic Chambe, Directeur Développement Durable chez CBRE
Pierre-Louis Dumont, Executive Director Agence Industriel & Logistique – Data Center Solutions, chez CBRE

On oublie souvent que la France possède des centaines de datacenters : des très gros stockant plusieurs dizaines de milliers de serveurs aux petits centres régionaux ou locaux ayant des capacités de quelques centaines de serveurs. Se posent de nombreuses questions : comment un pays peut-il attirer des datacenters ? Comment les implanter ? Au-delà du technique, il y a la question du foncier, la disponibilité énergétique et l’attitude des élus locaux et de la population. Autant de sujets sensibles qu’il ne faut pas négliger. 

Nous avons rencontré Pierre-Louis Dumont et Ludovic Chambe de CBRE, et Nicolas Boffi, City Executive Paris chez Arcadis.

Il faut distinguer les gros datacenters, typiquement ceux des hyperscaleurs, des opérateurs de datacenters et les autres. Les « autres » regroupent une réalité multiple : opérateurs régionaux, agglomérations et villes, éditeurs, grosses PME… Ils peuvent aussi correspondre au déploiement du Edge (souvent lié aux IoT) et à la 5G. En île de France, comme le rappellent les experts de CBRE, plusieurs clusters ont pris le marché : la Plaine Saint-Denis, et dans le sud parisien, les clusters de Vitry et de Marcoussis. Historiquement, la Plaine Saint-Denis a rapidement concentré les grands projets, notamment avec les importantes friches foncières. Cela a été favorisé par un volontarisme local et des autorités pour redynamiser un tissu urbain en souffrance. Et la taxe professionnelle était un avantage financier non négligeable pour certaines villes, du moins jusqu’à sa réforme. 

Mais ces clusters parisiens arrivent à saturation, excepté Marcoussis avec la stratégie de Data4 : le foncier disponible se réduit et il y a une réelle tension sur les sources électriques. Pour beaucoup d’acteurs, il faut être proche de ces clusters !

Tension sur le foncier

Tous les experts interrogés s’accordent sur les tensions sur le foncier. Le datacenter a besoin d’un terrain, qu’il soit déjà construit ou vierge. Mais le datacenter rentre en concurrence avec deux secteurs : l’immobilier (de bureau ou d’habitation) et la logistique. Cette dernière nécessite de grands espaces fonciers, et c’est justement ces superficies que les acteurs du datacenter cherchent. Comme l’explique CBRE, il faut savoir se positionner rapidement, mais le datacenter doit composer avec des conditions suspensives particulières, et l’obtention d’autorisations que la logistique et l’immobilier n’ont pas. Par exemple, il faut pouvoir étudier la faisabilité de raccordement au réseau haute tension, car une étude Ennedis peut prendre entre 6 et 8 semaines. Pour des cabinets de conseil comme CBRE, ces contraintes ralentissent les dossiers et la réactivité n’est pas en leur faveur.

Les autorisations administratives sont impératives pour pouvoir déposer le dossier d’un datacenter, le construire puis l’exploiter. Si l’ICPE est le document le plus souvent cité, d’autres ne sont pas à négliger et peuvent générer des retards dans les projets : D.I.U.O, plan ETARE (si besoin), plan sécurité / incendie, sans oublier les permis de construire. Bref, les préfectures et les municipalités regarderont de près les demandes.

Trois critères se dégagent de nos échanges :

  1. La localisation du foncier : comme dans l’immobilier, “la localisation, la localisation et la localisation”. Par exemple, à quelle distance se situe le futur datacenter par rapport aux interconnexions de la fibre.
  2. Les autorisations.
  3. Les risques : le foncier n’est pas dans une zone à risque ou s’il est proche d’un site industrie à risque.

La localisation est un facteur clé, notamment pour les gros datacenters, les opérateurs : il faut être proche d’un cluster, des sources électriques et bien entendu des interconnexions télécoms. Pour d’autres acteurs, la localisation reste importante, mais le postulat change ; ainsi la connectivité au réseau n’est pas forcément un critère primaire. 

La crise du Covid et la transformation numérique ont fait prendre conscience de la nécessité d’avoir des infrastructures et de la ressource informatique disponibles au plus près des entreprises et des utilisateurs. Le développement régional des datacenters répond aussi à cette nécessité. Des projets seront prêts à s’éloigner de quelques kilomètres pour avoir un meilleur prix du foncier, quitte à perdre un peu en qualité réseau. 

L’attractivité du datacenter

Aujourd’hui, CBRE constate que les demandes de datacenter restent majoritairement proches des métropoles actives et des centres urbains dynamiques. Les régions peu attractives ou ayant une activité technologique / économique moindre restent souvent à l’écart des datacenters et les élus ne chercheront pas forcément à les attirer. Nos experts font un constat récurrent vis-à-vis des élus locaux / régionaux : le datacenter n’est pas perçu comme une industrie créative de valeur ou d’emploi. Ils vont plutôt chercher les startups, qui sont vues comme créatrices de valeur et sans doute moins clivantes que le datacenter.

Le datacenter, même si le terme est répandu, garde une image peu attractive : gros bâtiment, peu écologique, consommateur d’énergie, peu d’emploi. Malheureusement, de nombreux élus ne comprennent pas la réalité du datacenter et les enjeux : oui, le datacenter génère peu d’emplois directs, mais il y a l’incroyable potentiel de l’emploi indirect, ainsi que l’intérêt des entreprises pour utiliser une infrastructure proche et donc être un élément pour s’implanter localement. La crise actuelle peut aider à changer cette image fantasmée du datacenter. Le rôle d’un partenaire comme Arcadis et CBRE est aussi d’évangéliser sur la réalité du datacenter et de discuter avec les acteurs et les élus locaux.

Plus globalement, la France est-elle une terre de datacenter ? Arcadis répond positivement : le pays possède de nombreux atouts. On peut citer : la position géographique, les câbles océaniques, le déploiement de la fibre, les plans étatiques pour favoriser le numérique et les datacenter, la qualité du réseau électrique. Les incitations gouvernementales, l’allégement de la fiscalité, des démarches administratives et d’urbanisme facilitées sont autant d’atouts, du moins des éléments positifs pour attirer les acteurs majeurs et donc les gros datacenters. 

Mais il faut aussi reconnaître qu’au-delà de cette relative positivité, la situation est diverse. Les élus locaux peuvent exprimer leurs craintes quand ce n’est pas des refus catégoriques. Mais globalement, la France n’est pas plus procédurière que d’autres pays, comme le notent les experts d’Arcadis. Ils notent, à l’instar de CBRE, une double tendance : la poussée des hyperscaleurs et des datacenters régionaux. Et les acteurs ne sont pas les mêmes et les besoins différents. Mais là encore, Arcadis ne peut que constater la concurrence sur le foncier. Si la construction de grands datacenters en périphéries des villes ou en pleine campagne reste une marque du marché, la tendance de créer des structures plus petites et plus proches des besoins locaux est forte. Arcadis voit aussi des convergences entre l’immobilier et le datacenter, avec la création de datacenters « boîte à chaussures » dans des projets mixtes. 

Les dernières élections municipales françaises ont vu plusieurs métropoles élire des maires écologistes (même si ce terme recouvre des réalités très diverses). Est-ce que des acteurs comme Arcadis ou CBRE en tiennent compte ? Sans plus de précisions, tout le monde constate la situation politique et compose avec. Les clients demandent de plus en plus d’améliorer les performances énergétiques des futures datacenters, répondre au mieux aux attentes et craintes locales, améliorer le design des bâtiments. 

Pourrait-on voir fleurir d’immenses installations solaires pour fournir l’énergie nécessaire aux datacenters, comme on peut le voir dans certains pays ? En France, cela semble difficile, le foncier en Arizona n’est pas celui d’un département français ! Mais le datacenter peut mieux valoriser et favoriser la production d’électricité renouvelable.

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